Chapitre 3. Concertations, développement local et consolidation professionnelle

1983-1990


État de la situation et enjeux, 1982 - 1983

La superbe avec laquelle la gauche questionnait l’inefficacité et le caractère iatrogénique des pratiques curatives est tombée. Au lendemain de l’échec référendaire québécois, de la dissolution des organisations de gauche qui avaient fait la pluie et le beau temps dans les organismes populaires et syndicaux, au lendemain de la pire crise économique depuis les années ‘30, la superbe, c’est plutôt le discours néo-libéral qui l’affiche.

Dynamique institutionnelle

Un nouveau directeur général vient de s’installer au poste de commandes du CLSC. C’est le cinquième depuis 1973. Il parle le langage de l’efficacité, de la réorganisation rationnelle et fonctionnelle d’une organisation qui s’était développée par ajouts et juxtapositions de programmes et de postes. Il envisage de regrouper les pratiques de prévention primaire et d’action communautaire dans un seul module. Ces pratiques relevant selon lui d’une logique d’intervention autre que les services curatifs et de prévention secondaire. Regrouper ces pratiques, qui se font actuellement dans tous les modules, permettrait un meilleur contrôle et une plus grande rigueur professionnelle par le développement de méthodes de supervision adaptées à des pratiques difficiles à évaluer, quantifier.

C’est dans cet esprit que le module communautaire est dissous et son personnel (ce qui en reste, après le départ du poste d’agent d’information avec la moitié du poste de secrétaire à la direction, en 1979) est rattaché au module social.

Dynamique professionnelle

À la veille de la dissolution du SAC, le moral est plutôt bas et l’esprit d’équipe, la cohésion interne à son plus bas. Le travail en SMT, qui accapare la majeure partie des énergies de deux intervenants sur trois, est devenue une véritable avocasserie, alors que la nouvelle loi sur la santé sur travail n’annonce rien de mieux: peu de place, sinon aucune pour les pratiques d’organisation communautaire n’est prévue dans ce nouveau cadre législatif.

Les réunions d’équipe au SAC relèvent plus de rencontres statutaires où l’on échange plus sur les rumeurs et les ragots qui courent dans l’institution et le réseau que sur les stratégies d’intervention dans le quartier. Le nouvel intervenant, embauché en 1980 pour remplacer le responsable  du front quartier qui a été libéré à long terme pour occuper un poste électif à la centrale syndicale, n’a pas vraiment l’impression de faire partie d’une équipe: c’est à chacun ses dossiers, sa spécialité.

Considérant l’importance prise par le caseload dans l’action des deux intervenants en SMT, il y a à cette époque plus d’action communautaire qui se fait dans les autres modules qu’il y en a au SAC: c’est un intervenant du PPA et un de santé préventive qui ont piloté la Coalition contre les coupures en 1981; c’est encore l’intervenant du PPA qui a animé une initiative de journal communautaire de quartier, en 1979; c’est une intervenante de santé préventive qui pilote la formation à l’intervention féministe offerte dans l’institution et à des intervenantes dans le quartier et c’est elle qui appuiera le développement, en 1982, de la maison d’hébergement pour femmes violentées (la Dauphinelle).

Dans ces conditions il n’est pas surprenant que la direction ait choisi de reconstruire une équipe communautaire autour du module social, auquel était déjà rattaché l’équipe santé préventive, plutôt que de redévelopper un service d’action communautaire qui avait perdu son leadership. Une opération qui, par ailleurs, avait l’avantage (du point de vue de la direction) de permettre l’affectation d’un poste-cadre à des objectifs plus substantiels que l’encadrement de trois intervenants.

Dynamique du milieu

C’est le creux de la vague, là aussi, pour les forces communautaires qui avaient agité les années ‘70. Sauf pour le mouvement des femmes qui, parmi quelques rares exceptions, contre vents et marées, réussit à développer durant cette période de disette de fonds publics, entre autres un nouveau réseau d’hébergement pour femmes victimes de violence.

La crise économique touche gravement les jeunes, particulièrement les assistés sociaux qui ont pour survivre moins de la moitié des prestations accordées aux personnes de plus de trente ans.

Les organismes communautaires du quartier se regroupent, avec des syndicats du secteur public, pour dénoncer les coupures décrétées par les gouvernements dans un contexte de besoins sociaux et économiques croissants. C’est de ce côté que semble venir la lumière, dans le tunnel.

* * * *

Les enjeux de la période qui s’ouvre auraient pu se formuler ainsi: Y a-t-il encore une place pour l’organisation communautaire en CLSC? Les mobilisations de masse, les  actions radicales et les discours enflammés ne semblent plus avoir autant de prise sur le réel, quelles seront donc les stratégies des années ‘80?

Le bon droit, la démonstration d’un besoin ne semblent plus suffisants pour obtenir du financement pour des initiatives populaires ou communautaires:  comment se développeront les nouveaux services, les réponses aux besoins sociaux, pourtant accrus par la crise?

Les réponses à ces questions étaient loin d’être évidentes, en 1982. Ces réponses seront cherchées, nous le verrons, à la fois dans le débat et les échanges entre intervenants et partenaires, mais aussi dans des initiatives créatrices, sortant des sentiers battus et occupés par le communautaire jusque là.

1982-83: des années charnières

Le choix des années 82-83 pour diviser la période de quinze ans que nous étudions ne repose pas seulement sur le fait que ce soit la période médiane. Plusieurs changements importants se produiront au cours de ces deux années, tant à l’intérieur du CLSC que dans le quartier.

C’est en 1982-83 que naissent des concertations d’organismes communautaires qui marquèrent la dynamique des années 80: par exemple, le Collectif en aménagement urbain, issu indirectement de la Coalition contre les coupures dans les services publics mise sur pied en 1981 dans le quartier. C’est de 1983 que date le Salon de la culture populaire - qui allait faire la promotion des ressources communautaires tout en étant un lieu central de concertation dans le quartier sur des questions telle le financement, la visibilité des organismes communautaires, l’intervention communautaire en développement économique.

C’est en 1982 que sera mis sur pied l’Atelier d’intervention communautaire, visant à réunir tous les intervenants du CLSC - et quelques gens des organismes du quartier - intéressés à discuter certains dossiers d’action communautaire. Nous reviendrons plus en détail sur cette expérience de promotion de l’action communautaire au sein de l’institution.

Dans le cadre des coalitions sus-nommées, le CLSC allait lui-aussi accroître sa visibilité et regagner enfin la légitimité qu’il avait perdu aux yeux de plusieurs au moment de sa création - dix ans plus tôt. Ce n’était plus seulement des intervenants du CLSC qui s’associaient aux groupes communautaires mais l’institution elle-même qui s’impliquait, en étant présente, avec les organismes, au Salon de la culture populaire; en déléguant un “commissaire” à la Commission populaire mise sur pied par le Collectif  en aménagement urbain.

La période 1983-90 sera marquée par un nouveau “style” d’intervention dans le quartier, où la concertation des ressources,  la concertation inter-institutionnelle, dans le sens de Laville, permettra à la fois de mieux faire reconnaître les ressources communautaires - et d’en créer de nouvelles. Le développement économique occupera une grande place, plus grande certainement que dans la période précédente. Des ressources vouées au développement économique communautaire  local seront créées avec une participation active du CLSC. Cet intérêt  pour la chose économique fut moins le résultat d’une mode - d’influence néo-libérale, qu’une intervention obligée par la crise de 1981 qui avait fait croître le taux de chômage et d’assistance sociale chez les jeunes du quartier à des niveaux insoutenables. Une situation qui exigeait que toutes les avenues soient explorées, que toutes les solutions soient mises à profit. Naturellement, le fait que les programmes de subvention de ces années soient davantage orientés vers l’employabilité, la création d’entreprises et la rentabilité contribua sans doute à orienter les demandes et expérimentations des organismes.

Visibilité, concertation, développement économique communautaire, tels furent les traits marquants de cette deuxième période d’organisation commuantaire au CLSC. Nous examinerons ces différents aspects à travers certains dossiers concrets qui illustrent le mieux à notre avis les logiques d’action à l’oeuvre.

Au niveau des dynamiques institutionnelle et professionnelle, nous examinerons comment et pourquoi les intervenants communautaires de CLSC voulurent se donner un  lieu d’échange ouvert, sous le forme de l’Atelier d’intervention communautaire (AIC). Comment cet atelier mais aussi la réorganisation en cours au CLSC conduisirent à la reconstruction d’une équipe d’organisation communautaire et comment cette dernière s’efforcera de redéfinir la place de l’action communautaire dans l’institution (élaboration, puis publication de sa programmation à l’échelle du Québec, participation au développement du Regroupement québécois des intervenant-e-s en action communautaire en CLSC, le RQIIAC...).

Au niveau des relations à la dynamique du milieu, nous comptons l’analyser en trois temps. Dans un premier temps, nous analyserons les principales formes de concertations interinstitutionnelles ou intersectorielles au sein desquelles l’intervention communautaire du CLSC a agi. Quels en étaient les enjeux, les acteurs, les produits. Dans la partie suivante, nous tenterons de cerner les principes et paramètres de contingence qui ont conduit l’intervention de certains membres de l’équipe communautaire sur le terrain du développement économique  local.  Par la suite nous  examinerons rapidement les autres formes d’intervention qui ne sont liées ni au développement économique ni à des concertations interinstitutionnelles. Finalement nous terminerons ce chapitre par une courte conclusion rappelant les faits saillants de la période.


A. Dynamique institutionnelle et professionnelle: consolidation de la place de l’action communautaire au sein du CLSC

1. L’atelier d’intervention communautaire (AIC)


À l’époque où fut dissous le module du SAC - pour être intégré au module socio-communautaire, quelques intervenants communautaires proposèrent de développer un atelier d’intervention communautaire. Dans l’esprit des initiateurs de cet atelier il fallait se donner les moyens de mieux coordonner les actions des intervenants du CLSC dans la communauté: “pas moins de six employés du CLSC intervenaient dans la même école (...) sans qu’ils coordonnent leurs efforts”. Cet atelier se voulait aussi un lieu de formation pratique et théorique en action communautaire. Il fallait revoir le cadre de référence de l’action communautaire que constituait encore le Bilan 1975 du SAC. Ce document de mars 1976 commencait à dater sérieusement.

Cette expérience, caractéristique de la période, correspond à un investissement significatif de la part des intervenants dans le cadre institutionnel. Un investissement en terme de réflexion, de débats, qui furent d’abord exigés dans une période de vacuum ou de repositionnement idéologique, puis rendus nécessaires par le questionnement auquel furent soumises les pratiques communautaires dans le réseau: développement du discours sur une vague approche communautaire (tout le monde en fait...), questionnement qui conduisit le ministère, en 1985, à mettre sur pied le comité Brunet.

On peut voir, dans l’appui donné par la direction du CLSC à cette initiative, une manifestation de son intention de renforcer l’intervention communautaire du CLSC, et non de l’affaiblir, comme l’avaient d’abord craint les intervenants communautaires au moment de la fusion des modules. Cette intention de la direction s’affirmera clairement dans le projet de réorganisation déposé en 1984- qui visait, entre autres changements, à créer un “module communautaire et préventif”.

Durant les quatre années et demie où il a fonctionné, l’atelier aura tenu plus de trente rencontres de formation et discussions sur des thèmes différents. La structure de coordination et d’animation de l’atelier a évolué, pour  passer d’un simple “agent de liaison” à un comité de coordination qui comprenait trois ou quatre personnes. Ce changement de structure reflétait un désir de faire de l’atelier plus qu’un lieu d’échange d’information - mais aussi un lieu interdisciplinaire d’approfondissement des dossiers, de formation et de critique de notre intervention dans le quartier.

Trente (30) rencontres en quatre ans

La première année de fonctionnement de l’AIC fut marquée par des débats soit très théorique (“de l’individuel au collectif”; “le Bénévolat”),  soit par un examen qui n’en finissait plus d’une pratique particulière (pendant trois rencontres de suite: Action communautaire et Programme Personnes Agées; les rapports d’ASTA et du CLSC). À compter de mai 1983, l’atelier commence à se pencher sur des questions d’actualité (Mobilisation contre la misère), de même qu’il est le lieu de préparation, de “test” de certaines interventions du CLSC: préparation de communications à un congrès de la FCLSCQ sur la place de l’action communautaire; préparation d’un mémoire sur l’impact de la construction de l’autoroute est-ouest sur la santé des citoyens.

À la fin de 1983 s’amorce une ouverture de l’atelier à des membres de la communauté locale (représentants d’organismes) qui viennent avec nous discuter de questions d’intérêts communs: la Dauphinelle, centre d’hébergement pour femmes victimes de violence est présentée à l’atelier en novembre 83; en juin 84, l’atelier tente d’analyser les liens entre le CLSC et les organismes communautaires - à partir des liens avec un organisme: la Marie-Debout, un centre de femmes. Une rencontre est organisée, en  mai 85, avec le comité de coordination du Salon de la culture populaire. En décembre de la même année la question des coopératives de travail et autres formules de création d’emploi est examinée avec plusieurs organismes. En mai 86, c’est la question de la santé mentale qui est abordée, avec la participation de plusieurs organismes du quartier, intéressés à identifier les facteurs de risque pour la santé mentale et les moyens de prévenir les problèmes à ce niveau.

Certains ateliers prirent la forme de conférences données par des invités extérieurs: Camil Bouchard venait entretenir l’atelier des résultats de ses recherches sur la question des enfants victimes de négligence, en décembre 1984; Ellen Corin venait présenter sa recherche sur les réseaux naturels de support en santé mentale, en octobre 1985.

D’autres ateliers étaient l’occasion de présentation de certains nouveaux programmes développés par des équipes du CLSC - qui comportaient une part d’action communautaire ou qui désiraient développer cette dimension dans leur action. Le programme de l’équipe Santé préventive fut présenté en  1983; l’équipe de Santé maternelle et petite enfance vient présenter le sien en février 85; l’équipe chargée de développer une intervention auprès des jeunes vint présenter son projet de Clinique jeunesse en juin 1985; enfin l’équipe ayant développé une intervention auprès d’un groupe de travailleurs affectés par une fermeture d’usine (DAVID) présentera les résultats de son action en mars 85.

Des questions plus générales ou théoriques furent soulevées: tel l’atelier sur la prévention primaire, en mars 1984; l’atelier portant sur une étude réalisée (en juillet 85) auprès de 600 ménages du quartier concernant l’utilisation et la connaissance des services du CLSC,  en avril 86; l’atelier portant sur les facteurs de risque, en septembre 86. Finalement à chaque début d’année, de saison, le bilan de l’année précédente et les thèmes suggérés pour l’année à venir étaient discutés collectivement.

Durant ces années, l’atelier d’intervention communautaire remplit plusieurs rôles, tout en étant une structure simple, une structure ouverte à laquelle pouvaient participer, selon les sujets abordés, la plupart des membres du personnel du CLSC. L’atelier remplit d’abord le rôle d’un comité consultatif du personnel clinique (CCPC), structure qui n’avait jamais été mise sur pied au CLSC. Le CCPC était une structure prévue par la loi qui devait être un lieu de discussion sur les questions d’orientation, de programmation soulevées par l’intervention du CLSC. Il n’y avait pas d’autres lieux d’échanges et d’information qui soit communs aux équipes et programmes du CLSC que l’AIC.

Information ou formation?

Ce rôle général d’échange amenait certaines insatisfactions ou tensions chez les intervenants communautaires qui auraient voulu que les débats s’élèvent au dessus du stricte niveau d’information, pour atteindre les objectifs de formation visés par l’atelier dès le début. Le fait que la composition de l’atelier pouvait changer d’une rencontre à l’autre ne facilitait par le développement d’un processus de formation. Il fut envisagé, après une année et demie de fonctionnement, de réduire l’accès aux rencontres de l’atelier aux seuls intervenants qui pratiquaient directement l’action communautaire: O.C., travailleurs communautaires et quelques membres de l’équipe Santé préventive. Cette solution fut repoussée car il apparaissait nécessaire de promouvoir les pratiques communautaires auprès de l’ensemble des intervenants du CLSC. Il fut alors décidé de mieux supporter la préparation de chaque thème, grâce à un comité de coordination qui devait s’assurer que les débats iraient plus à fond et que les responsables de thèmes seraient mieux préparés. Ce comité fut composé pendant plus de deux ans de deux O.C., d’une nutrionniste et d’un médecin. Cette composition marquant bien l’ouverture et le caractère interdisciplinaire qu’on entendait donner aux débats de l’atelier.

 Dans un document daté de janvier 85, on définissait les principes qui devaient guider le choix des thèmes de rencontres. On y parlerait de “questions d’intérêt pour la communauté du CLSC ou du quartier”. Certes on indiquait que ces questions devaient avoir quelque “pertinence pratique” en regard des programmes du CLSC mais les horizons étaient larges et incluaient à cette époque les organismes communautaires du quartier. Dans le Bilan de l’année 83-84, le “comité bilan” soulignait qu’il fallait “poursuivre l’association à des groupes et ressources extérieures au CLSC pour présenter des projets précis, participer à l’analyse critique de nos pratiques et présenter certains organismes”. Si le premier et le troisième objectifs ont pu être atteints lors des rencontres ultérieures impliquant des organismes extérieurs, celui de l’analyse critique des pratiques du CLSC se révélait plus difficile. De fait, à chaque fois qu’un nombre important de personnes “de l’extérieur” participent à un atelier, il est noté dans les évaluations du comité de coordination de l’atelier que le débat “aborde difficilement la question de la place du CLSC dans le milieu” (rencontre sur le Salon de la culture); “mutisme de la part des intervenants du CLSC en présence des groupes du quartier” (rencontre sur la santé mentale); etc. C’est le même problème que celui vécu lorsque des rencontres réunissent un grand nombre de personnes et prennent plutôt un caractère d’information, où il est “difficile d’aborder des questions litigieuses, de questionner les limites des projets présentés” (rencontre sur le projet de Clinique jeunesse). Dans l’avant dernier bilan de l’AIC, celui de 84-85, on parle du “vieux problème” de l’atelier: le passage de l’information à la formation.

On reparle dans le dernier bilan de la “difficulté de discuter ouvertement, de critiquer les thèmes et projets présentés en ateliers”. On est encore insatisfait de la dimension “formation” de l’atelier et on conclut ce dernier bilan sur un besoin de ressources humaines et financières pour donner un caractère de formation plus solide aux contenus des ateliers. On parle alors de “Formation permanente multidisciplinaire”, dont on donne le mandat au comité de coordination d’en négocier les paramètres (en terme de ressources) auprès de la direction.

L’atelier s’éteindra, à l’automne 1986, au moment où l’équipe d’organisation communautaire (EOC) devient le lieu de rattachement de la majeure partie des ressources en action communautaire au CLSC: deux des trois intervenants communautaires du PPA sont rattachés à l’EOC, au moment où sont transférées au PPA les équipes de soins à domicile et de services d’auxiliaires familiales pour les «moins de 60 ans» qui étaient jusque là rattachées respectivement au module santé et socio-communautaire. Le PPA devient le module Service à domicile (SAD). Au printemps 1987, dans l’appréhension générale qui suivit la sortie du rapport du  Comité Brunet, l’équipe “Santé globale”, dont l’appelation était devenue “Santé préventive” fut dissoute par la direction, et ses membres rattachés pour la plupart à l’EOC (la nutrionniste, deux ARH, deux T.C.). Les activités de prévention primaire, sous la forme de groupes en gestion du stress, en thérapie autogène, en nutrition furent considérés comme n’étant pas suffisamment ciblées vers des populations à risque. Cette dissolution amena le médecin et le psychologue qui étaient rattachés à cette équipe à quitter le CLSC.

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On peut conclure de cette expérience d’auto-formation et d’animation de la communauté institutionnelle du CLSC qu’elle aura contribué à renforcer la visibilité et la place de l’intervention communautaire dans  l’institution, à un moment où l’isolement des intervenants dans différentes équipes et le questionnement idéologique du début de la décennie auraient pu conduire à son affaiblissement. Une période où l’investissement dans les dynamiques institutionnelle et profesionnelle tranchait avec les pratiques militantes quelque peu éloignées, indépendantes par rapport à l’institution de la période antérieur. L’AIC aura aussi servi de tremplin pour faire valoir l’intervention communautaire dans le réseau des CLSC - (participation au congrès de la FCLSCQ; proposition d’une publication “Les cahiers de l’action communautaire” faite à la FCLSCQ, mais jamais reprise par celle-ci). Il faudra attendre la création du Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC (RQIIAC), en 1987, avec son bulletin de liaison, pour que cette idée soit reprise. L’AIC aura aussi servi de levier pour faire connaître, pour assurer la communication entre certaines ressources communautaires du quartier et les intervenants du CLSC. En même temps que le CLSC “reprenait sa place dans la communauté” dans le cadre d’initiatives de concertation comme le Salon de la culture populaire, la communauté avait trouvé avec l’AIC un moyen de reprendre une (petite) place à l’intérieur du CLSC. Ce n’était pas une place décisionnelle, ni un pouvoir formel, comme c’était d’ailleurs le cas pour les intervenants du CLSC, mais c’était un lieu de rencontre et d’échanges entre praticiens du quartier et du CLSC, comme il n’y en avait plus eu depui  la fin du projet de Maison de quartier, le projet pré-CLSC, en 1973.

Là où les objectifs de l’AIC furent les plus difficiles à rencontrer: faire la critique de nos pratiques et des projets d’action; atteindre un degré élevé, ou une profondeur dans la formation, on peut se demander si les objectifs eux-mêmes n’étaient pas idéalistes. Il fallut à l’équipe communautaire près de trois années de cheminement en “vase clos”, c’est-à-dire avec un groupe déterminé et restreint,  pour atteindre une formulation acceptable (à ses  membres) de ses objectifs. Il a fallut construire, à travers ce processus de réflexion et d’échanges, de formation, un degré suffisant de confiance mutuelle pour que la critique de certains projets, de certaines pratiques soit rendue possible et constructive.

L’ouverture aux organismes du  milieu qui avait caractérisé les dernières années de l’AIC n’allait pas se refermer avec le passage à l’EOC. Celle-ci allait en effet réaliser, dans le cadre de sa démarche de programmation en 1987, une enquête auprès d’une trentaine de groupes (29) du milieu, afin de mieux connaître leurs attentes et leur perception vis à vis de services communautaires du CLSC. D’autres moyens de concertation et d’échanges, d’articulation aux ressources du milieu seront développés comme nous le verrons plus loin.

La période de l’AIC aura certainement préparé l’équipe à mieux définir la place de l’action communautaire au CLSC, par rapport aux autres forces du milieu, par rapport aux autres interventions du CLSC. Ainsi la réflexion que nous avions faite en 1983-84, formulée entre autres dans deux documents: “Rôles en transition et nouveaux défis de l’action communautaire en CLSC” (congrès de la FCLSCQ, octobre 1983) et “La communauté compétente” (atelier communautaire de mars 1984), nous permit de formuler en 1986, une définition de  l’action communautaire en CLSC comme “Agent de développement au sein de la communauté”. Ces efforts associés à d’autres semblables à travers le Québec, contribueront à fonder  le RQIIAC, dont l’embryon se développa, comme nous l’avons déjà souligné, à partir du Colloque d’octobre 86 “Fais-moi signe de changement” auquel participèrent 400 représentants du mouvement communautaire québécois dont une quarantaine d’intervenants communautaires de CLSC. Il est intéressant de noter que c’est un évènement du mouvement communautaire qui servit de déclancheur, précipitant la démarche des intervenants du réseau. Cela reflète aussi le fait que le questionnement qui se menait au sein des organisateurs de CLSC rejoignait, au moins partiellement des préoccupations, comme le développement économique communautaire, des intervenants du mouvement communautaire.

2.  Redéfinition d’un cadre de référence pour l’organisation communautaire:  la démarche de l’équipe d’organisation communautaire

Dans la période précédent la remise sur pied de l’équipe d’organisation communautaire (ÉOC), particulièrement dans le cadre de l’AIC, mais aussi lors de travaux plus spécifiques visant à développer une “politique de développement communautaire”, certaines réflexions générales ont eu pour but de redéfinir la place de l’O.C. dans le CLSC, dans son interaction avec le quartier, de  trouver un cadre théorique mieux adapté que celui du SAC datant de 1976.

Des étapes importantes de la réflexion

L’intervention développée au sein de l’AIC - et communiquée au congrès de la FCLSCQ, en octobre 83, mettait l’accent, dans la partie présentée par le coordonnateur du module socio-communautaire de l’époque, sur le rôle de source d’information constitué par l’action communautaire - un rôle pouvant être utile aux gestionnaires soucieux d’affecter les ressources sous leur responsabilité en tenant compte des dynamiques changeantes de leur milieu. Dans une autre communication présentée à ce même colloque, nous mettions nous-mêmes l’accent sur le changement de conjoncture depuis 1975, et sur l’importance de tenir compte de trois niveaux de pouvoirs à développer dans la communauté: le formel, le militant/volontaire et le pouvoir “vernaculaire”.

Nous nous opposions, sur cette question du pouvoir des citoyens, au point de vue développé par Godbout, dans La participation contre la démocratie (1983), qui avait tendance à réduire ce pouvoir aux seuls mécanismes formels d’élection. Nous réaffirmions l’importance de l’engagement volontaire, du militantisme, comme formes de pouvoir auxquelles travaillaient les O.C. de CLSC. De plus, en reprenant le terme de Illich (Le genre vernaculaire, 1983), nous tentions de définir un autre niveau de pouvoir, qui se manifestait souvent comme une résistance aux interventions extérieures, lié aux réseaux naturels, de voisinage, familiaux.

En 1984, dans le cadre d’un atelier communautaire sur la prévention primaire, nous développions dans un texte intitulé “La communauté compétente” une conception de l’intervention communautaire comme “développement de compétences environnementales de la communauté locale” - ces dernières étant définies comme capacités de la communauté, et des individus qui la composent, à trouver dans leur environnement réponses à leurs besoins - à influencer et transformer s’il le faut l’environnement à cette fin.  Nous tentions alors d’articuler dans ce texte le travail curatif et le travail préventif par une approche intégrée, visant l’émergence d’une communauté compétente, possédant des ressources et aussi les compétences à les utiliser; une communauté interactive, où les ressources professionnelles, institutionnelles, communautaires et de réseaux communiquaient dans le but d’accroître l’ajustement des ressources individuelles et environnementales. On y défendait un concept de l’institution comme système ouvert: le milieu et  les organismes ne sont pas là uniquement comme des “relais” de l’institution - mais l’institution est aussi un relais du milieu.

Débats entourant la définition du champ d’action en  organisation communautaire

En 1986 nous définissions, dans un texte diffusé à l’équipe puis publié en 1987 dans le nouveau bulletin de liaison en action communautaire en CLSC (Inter-action), les rôles de l’organisation communautaire en CLSC comme ceux d’un “Agent de développement au sein de la communauté” (BEAUCHAMP, 1986, 19 pages.). C’est un document qui s’oppose à la réduction du mandat de l’intervenant communautaire de CLSC au strict domaine socio-sanitaire, en mettant de l’avant l’intervention de développement économique, l’intervention en milieu scolaire et l’intervention environnementale et d’aménagement urbain. On y propose de porter un “regard entreprise” sur les organisations communautaires, c’est-à-dire d’envisager certains développements de nos organisations communautaires en s’inspirant de l’entreprise privée. Particulièrement en ce qui concerne la sous-traitance, décriée à ce moment par le mouvement communautaire, nous y défendions le point de vue qu’elle devait plutôt être interprétée comme une reconnaissance des compétences communautaires plutôt qu’un assujettissement de celles-ci à une logique extérieure.

C’est un document polémique qui s’oppose au dénigrement du bénévolat par ceux qui en réduisent le sens à la production de services gratuits servant à temporiser le retrait des investissements de l’État. Un document qui s’oppose aussi à ceux qui hésitaient à intervenir sur le terrain économique.

Sans aller jusqu’à proposer déjà la mise sur pied d’un regroupement d’intervenants communautaires, nous y défendions la nécessité de faire valoir et mieux connaître les compétences et le travail d’organisation communautaire.

Ce document s’inscrivait dans la conjoncture du réseau (comité Brunet, publication de La culture organisationnelle: le cas des CLSC par la FCLSCQ), dans celle du mouvement communautaire (le colloque de Victoriaville Fais-moi signe de changement), et dans le débat qui s’amorçait sur la priorisation, la programmation dans la nouvelle équipe communautaire au CLSC-HM.


Réflexions sur la programmation: un processus stratégique

C’est au cours de l’année 86 que l’équipe commence un brassage d’idées concernant les dossiers actifs, et ceux qui devraient être développés. Le processus de réflexion engagé à ce moment à travers les discussions sur les programmes d’action semestriels et les bilans annuels conduira à de multiples reformulations de la programmation d’équipe. Les priorités changeaient au gré de la conjoncture, et de notre façon de la lire et de la dire. Le contexte socio-politique de questionnement sur les limites socio-sanitaires du champ d’action du CLSC (rapport Brunet) influencera la façon de  structurer cette programmation d’équipe, mais aussi il stimulera l’effort collectif en vue de mieux faire connaître, rendre visible la multiplicité, la complexité et la valeur des interventions déployées.

En janvier 1987, l’équipe affiche clairement qu’elle n’entend pas limiter son action au stricte domaine socio-sanitaire: la priorité stratégique identifiée dans la programmation semestrielle publiée à ce moment est l’intervention en milieu scolaire, alors qu’un secteur de développement économique est aussi inclus dans cette programmation. La priorité au milieu scolaire visait à profiter, stratégiquement, de la présence au CLSC d’un directeur général issu du milieu scolaire et bien connu des directeurs d’écoles pour accentuer la collaboration entre les écoles et le milieu communautaires. Après la réalisation d’un colloque, en janvier 1988 (voir plus loin, concertation en milieu scolaire), l’intervention dans ce milieu ne sera plus, l’année suivante, aussi importante. Le CLSC ne pouvait pas jouer l’agent de liaison permanent entre toutes les écoles primaires et secondaires du quartier (au nombre de douze) et les ressources communautaires. Cependant cette initiative ponctuelle facilitera certainement l’émergence et l’implantation de projets particuliers de collaboration écoles / organismes communautaires dans les années suivantes: Je Passe-partout, développé par Concertation-jeunesse; Les enfants de l’espoir, développé en collaboration par le CLSC et le Centre culturel de l’Est...

À la même époque, l’affirmation d’un secteur de développement économique dans les programmations d’équipe est elle aussi tactique. Tout en reflétant, certainement, l’intervention de l’équipe sur ce terrain (voir la partie sur cette question dans le présent chapitre), elle affirmait ouvertement la nécessité, à l’encontre du rapport Brunet, de dépasser le domaine socio-sanitaire. Il aurait été possible, en effet, de “camoufler” ces interventions sous le couverts de problématiques plus proches du langage et des piorités identifiées par Brunet: jeunesse en difficulté... On prenait soin, cependant, dans le même document, de signifier les limites de ces investissements hors-socio-sanitaires. Une classification des dossiers par secteurs permettait alors d’identifier que près de 75% des investissements de l’équipe se faisaient dans les domaines de l’animation-concertation et du développement de ressources, mettant en évidence que les questions de revenu et emploi et prévention sont quantitativement secondaires. Ce qui était le cas, effectivement, mais surtout parce que des besoins urgents avaient mobilisé les énergies de l’équipe: support au développement de ressources auprès des jeunes itinérants, des familles pauvres et “affamées”...

Il apparaissait à l’équipe qu’une façon de conserver une  orientation ouverte sur les dynamiques communautaires, nonobstant les catégorisations et clientèles à risques du ministère, était de bien faire voir que ces clientèles, jugées prioritaires “en haut”, étaient effectivement couvertes dans l’ensemble des dossiers. D’autre part, l’approche terrain qui liait la réflexion interne à l’intervention et aux discussions qui se menaient dans le milieu assurait l’équipe de rester sensible à l’émergence de nouveaux besoins ou d’opportunités d’action imprévues.

Un processus de programmation respectueux des alliances avec le milieu

Nous devons noter l’importance mise à travers ces réflexions sur la consolidation et le respect des dossiers en cours, par rapport à des déplacements, ou développements nouveaux: plusieurs nouveaux développements avaient été faits en 1985-86, il fallait d’abord consolider. De plus, il apparaissait important à l’équipe travaillant à formuler un cadre théorique pour programmation de pouvoir y inclure l’ensemble des alliances et relations dynamiques concrètes qui avaient été développées avec le milieu. Cette intention primait sur la clarté ou la rapidité de formulation d’une programmation structurée.

Consultation de 29 groupes

Un élément important, stratégique de cette programmation semestrielle de janvier 1987 est qu’elle fut l’objet d’une consultation tenue au printemps 87, auprès d’un échantillon représentatif de 29 groupes communautaires du quartier. Cette démarche réalisée par l’équipe au moment où était déposé le rapport du comité Brunet, eut pour conséquence de donner une grande visibilité aux projets et dossiers d’action communautaire - et de faire se manifester l’intérêt du milieu pour la poursuite de ces dossiers. Une synthèse de cette consultation, sous forme de tableaux quantitatifs d’appréciation (priorisation) des dossiers en cours et de résumé des commentaires et suggestions, fut présentée lors d’une “assemblée de rétroaction” avec les groupes. Aucune réorientation majeure de l’action de l’équipe ne résulta de cette consultation. Ce qui n’est pas surprenant puisque les dossiers actifs de l’équipe étaient pour la plupart développés avec les organismes du milieu. On questionna l’importance donnée, un peu subitement, à l’intervention en milieu scolaire.  En somme, les préoccupations des organismes recoupaient sensiblement celles de l’équipe. Les jeunes, la violence, la famille, les revenus constituaient quatre grands thèmes d’équivalente importance, regroupant les quelques 26 “clientèles-cibles” identifiées dans le questionnaire soumis aux consultés. La clientèle des familles monoparentales ressortait plus que les autres. Parmi les dossiers actifs, ou projets dans la programmation, ceux liés à la prévention primaire venaient au premier plan, allant en ce sens à l’encontre de l’orientation Brunet. Au milieu des rôles reconnus par les groupes à l’action communautaire du CLSC, deux se détachent  de la liste de cinq ou six rôles les plus importants (choisis parmi une vingtaine de rôles possibles): support aux groupes et dépistage de besoins.

Enfin...

Après quelques deux années de réflexions et de reformulations, réorganisations de la programmation en secteurs, blocs, champs, dimensions...l’équipe avait le sentiment de piétiner dans sa démarche. Le “comité des 4",  comité ad hoc en charge à ce moment de pousser la réflexion sur cette question, propose qu’on aille chercher des ressources externes qui nous aideront à:


Formation

Trois journées de formation sont alors élaborées avec deux professeurs (Laval Doucet, de l’Université de Laval, et Louis Favreau, de l’Université du Québec à Hull). Le processus doit alors conduire à la formulation d’une “programmation-cadre”, triennale pour l’action communautaire, qui permettrait à l’équipe de:

Cette programmation devrait se manifester en une “stratégie d’action partagée, comprise et soutenue par des cadres (structure, pouvoirs, organisation) de travail utiles et efficaces”. 

Cette période de formation précipitera la conclusion d’un processus amorcé depuis longtemps: entente sur une philosophie d’action; formulation d’objectifs à plus long terme (3 ans); méthodologie de présentation de dossiers. La programmation de l’équipe d’organisation communautaire sera publiée en janvier 90 sous la forme d’une plaquette (S'organiser, s'entraider, s'en sortir, Programmation de l'équipe d'organisation communautaire 1989-92 et Plan d'action 1989-90, CLSC Hochelaga-Maisonneuve, janvier 1990, 79 pages.) resituant le contexte institutionnel et local (CLSC, quartier, mission de l’équipe), où six grandes problématiques sont présentées (jeunesse, familles, vieillissement, logement-environnement, aide sociale-employabilité, santé), encadrant quelques 30 dossiers de l’équipe. Chacun des dossiers était présenté suivant son origine, sa problématique, ses activités, ses objectifs à moyen terme (3 ans) et son plan d’action pour l’année. Une courte description des indices et moyens  d’évaluation retenus pour le dossier ainsi que le temps moyen consacré, par quels intervenants, terminaient la fiche synoptique.

Plus de 800 copies de cette programmation ont été diffusées, dans les dix-huit mois suivant sa parution, dans l’institution, dans le réseau des CLSC (au moins une copie par CLSC), et dans le quartier.


Une longue marche locale, et nationale

D’un point de vue local, ou interne, la démarche pour formuler une programmation d’équipe communautaire, même triennale, fut longue et ardue. Cette programmation constitue en quelque sorte l’aboutissement du travail de réflexion amorcé en 86 (même depuis 1982, si on compte avec l’AIC). L’impact de la publication dépasse cependant largement le stricte plan local. L’objectif était clair: rendre plus visible, valoriser les pratiques d’organisation communautaire en CLSC, à une époque où ces pratiques étaient remises en question (rapport Brunet). L’objectif a été atteint.

Cette publication participait d’un ensemble de gestes visant à rehausser la visibilité, renforcer la crédibilité de l’action communautaire en CLSC: recherche de 1988 sur les organisateurs communautaires (O.C.) en CLSC, colloque de mai 1988, mise sur pied du RQIIAC, colloque de 1990, publication d’un bulletin trimestriel Inter-action communautaire (depuis janvier 87). Des gestes posés par des intervenants communautaires à travers le Québec, mais aussi des gestes supportés, appuyés par les institutions de rattachement de ces intervenants. Des membres de l’équipe communautaire du CLSC-HM ont été étroitement associés à tous ces gestes. L’appui de l’institution au mouvement d’auto-formation lancé par le RQIIAC aura été graduel mais continu, d’octobre 1986, à mai 1990. De la participation à un comité ad hoc devant demander à la FCLSCQ d’organiser un colloque sur l’action communautaire en CLSC (décembre 1986), à la présidence du RQIIAC et la coordination du deuxième colloque (mai 1990), l’implication d’un membre de l’équipe aura été très importante. L’accord de la direction du CLSC fut discret mais constant. Une telle implication ne faisait manifestement pas partie du mandat local du CLSC (et de l’équipe), mais elle pouvait faciliter l’atteinte d’objectifs poursuivis localement: mieux  circonscrire, définir l’action communautaire en CLSC; rendre plus visibles, revaloriser les pratiques et ressources d’action communautaire en CLSC. Ces objectifs étant d’autant plus importants pour le CLSC qu’il avait la deuxième plus grande équipe d’intervenants communautaire du réseau des CLSC. Les occasions de formation professionnelle développées par le RQIIAC apparaissaient utiles, et aller dans  le sens des efforts de systématisation développés localement.

Un processus itératif et dialectique

La publication de la programmation, en janvier 1990, par l’EOC du CLSC HM ne mettait pas un point final à tout effort de  programmation, de priorisation des investissements d’organisation communautaire dans le quartier. Tout au plus allait-elle marquer une étape, une marche dans l’escalier tournant de la planification locale- mais aussi une pierre lancée dans le jeu de la planification régionale et nationale.

L’équipe avait gagné en visibilité en publiant sa programmation, il fallait poursuivre le travail et évaluer régulièrement l’atteinte ou la réorientation des objectifs prévus sur trois ans. Des efforts furent mis en 1990 pour élaborer des outils afin de suivre l’évolution de l’action dans les dossiers. Une coupure de poste effectuée au sein de l’équipe, dans le cadre d’un redressement budgétaire obligé par le ministère, eut pour effet de freiner brusquement les “investissements institutionnels” de l’équipe.

Une décision administrative qui eut pour conséquences de freiner les efforts mis à l’évaluation/planification mais aussi de hausser d’un cran l’unité interne de l’équipe: les 35 heures coupées au sein de l’équipe furent partagées par cinq personnes.

Ce dernier épisode du processus de planification-programmation aura fait ressortir, encore une fois, la difficulté pour l’équipe d’atteindre un degré suffisant d’unité pour prioriser collectivement les dossiers, dans  le sens d’influencer l’affectation des ressources de l’équipe. Le meilleur exemple est sans doute le dossier du Collectif en aménagement urbain, que l’équipe convenait de privilégier, quelques semaines avant les coupures, mais où elle se trouva incapable de combler la réduction d’heures, conséquence de la coupure de 7 heures imposée à l’intervenant en charge du dossier. Comme on le notait au procès-verbal de la rencontre du 20 octobre de l’EOC:

“On constate que les coupures ont été faites essentiellement dans les dossiers de ceux qui avaient accepté de réduire leurs heures, et pas nécessairement dans les dossiers les moins prioritaires. (...) La nécessité urgente de se doter d’un mécanisme réel de priorisation qui nous permettra d’évaluer, non seulement l’atteinte des objectifs visés dans un dossier (ce à quoi s’est limitée la question de l’évaluation dans la programmation) mais d’évaluer l’importance relative d’un dossier par rapport à un autre, en regard des objectifs généraux du programme”.

L’impossible objectivité

Les travaux du comité de priorisation conclueront à la grande difficulté de mesurer “objectivement” des interventions qui se font à la croisée de plusieurs enjeux,  avec la participation de multiples partenaires.

“On peut tenter de créer un système de critères qui soit plus objectif, qui tente de comprendre les différents enjeux d’une intervention sociale complexe, à plusieurs partenaires. On pourra difficilement ”objectiver" tous les enjeux, tenir explicitement compte de toutes les dimensions. De plus, quand on parle d’action sociale, les méthodes d’action et l’évaluation des résultats atteints sont souvent à long terme, ou encore difficiles à évaluer (à cause des effets convergents ou contradictoires de plusieurs acteurs sociaux autour d’un même objectif). Ce qui rend encore plus susceptible le processus de priorisation d’être “entaché” de subjectivisme, de choix non-démontrables" (Beauchamp, 1991a; 18)

En regard de la difficulté de mesurer l’effet d’interventions “à impact limité”, micro-sociologique, alors que les critères ou indices d’évaluation des problématiques sont habituellement de nature macro-sociologique, ou bien sont du domaine de la santé et non du social; en regard, de plus, de l’impossibilité de choisir entre “manger, dormir, ou s’éduquer”, les dossiers d’action communautaire étant pour la plupart orientés vers l’atteinte d’un seuil minimum de bien-être et de dignité au niveau des besoins primaires, qui doivent tous être satisfaits; la question de la priorisation en terme de mesure linéaire, quantitative des dossiers, qui permettrait de décider objectivement de l’abandon de l’un au profit de l’autre, est mise de côté. Ceci au profit d’une priorisation stratégique, identifiant un aspect de la conjoncture, un dossier qui, par son positionnement (en termes de capacité de passer à l’action à ce moment, de moyens et opportunités, d’impacts positifs prévisibles en regard d’une éventuelle accentuation de l’intervention de l’équipe...) mérite que l’équipe concerte plus étroitement son action afin d’en renforcer la réalisation. “Il y a plus à gagner, en terme d’efficience, à mieux articuler nos efforts sur nos dossiers principaux, qu’à chercher méthodiquement quels dossiers secondaires nous pourrions bien délaisser.” (Beauchamp, 1991)


3. Autres modalités d’articulation de l’équipe communautaire à l’institution

Bien que cela n’ait pas toujours été transparent dans les travaux de planification et programmation de l’équipe tels que décrits jusqu’ici, un souci permanent de répondre à des demandes internes, venant d’autres équipes du CLSC ou de la direction était à l’oeuvre.

 Déjà dans le document de 1985, on proposait que les équipes du CLSC soient considérées comme des groupes extérieurs et soumis à la même grille d’évaluation des projets communautaires. Les projets cependant furent peu nombreux. En 1987, alors que la direction débattait de la pertinence de maintenir une équipe d’organisation communautaire, celle-ci reconnaissait la nécessité de faire plus d’efforts pour actualiser un mode de fonctionnement “matriciel”, qui se devait d’offrir à tous les programmes de l’institution ses services d’organisation communautaire.

Plusieurs dossiers avaient été développés auprès des clientèles de programmes spécifiques: ressources auprès des personnes âgées (les Grands ménages, Résolidaire), ressources auprès des personnes dans le besoin matériel immédiat que rencontraient les services sociaux courants (le CARRE), certains travaux de support techniques à des rencontres de sensibilisation en santé mentale...

D’autre part, le rôle de support logistique de l’organisation communautaire se manifestait aussi directement à l’intérieur. Au cours des années 1985-1990, des membres de l’ÉOC participèrent à des travaux visant à réfléchir au mode de fonctionnement (et aux objectifs) de certaines équipes du CLSC (accueil, services sociaux). L’équipe communautaire avait acquis là dessus quelqu’expérience!

Le traitement des données d’une enquête sur la connaissance qu’avait la population du CLSC (1985), puis le traitement des statistiques d’intervention (au Services à domicile), furent réalisés dans cette veine de “support aux autres programmes”. Une telle intervention se situait dans le prolongement des fonctions d’analyse de besoins reconnues à l’action communautaire.

Là où le support à l’institution ne relevait plus vraiment de l’action communautaire ce fut quand un intervenant participa activement au processus d’implantation de l’informatique dans l’institution. Cela n’avait plus rien à voir avec l’organisation communautaire, mais c’était à cette époque l’intervenant de l’institution ayant le plus de connaissance dans ce domaine, à un moment où l’institution s’apprêtait à investir des sommes importantes. Il y allait d’un intérêt collectif, de toute l’institution, de pouvoir exercer le maximum d’influence sur un processus qui, autrement aurait été laissé entre les mains de consultants externes qui, en l’occurence, avaient des CLSC une vision bien particulière: c’était des cliniques médicales. Cette implication d’un intervenant communautaire, si elle dépassa la stricte définition de l’organisation communautaire, permit au CLSC, et à l’équipe communautaire, de se doter d’outils de travail mieux adaptés à des besoins qui dépassaient ceux d’une clinique médicale: besoins en matière de traitement d’enquêtes et de sondages, en matière  d’édition de documents (brochures et dépliants). Des outils qui furent par la suite utilisés amplement et même prioritairement par des intervenants communautaires, au profit de groupes et de projets dans le quartier.

Ces “investissements institutionnels”, comme on les appelaient déjà en 1975, étaient encore perçus comme nécessaires au maintien de la marge de manoeuvre de l’équipe d’organisation communautaire dans ses dossiers d’"investissement terrain", mais avec cette différence que l’institution était moins perçue comme “dominée par des pratiques petites-bourgeoises”, mais plutôt comme une ressource locale, dont il fallait assurer le meilleur ajustement aux réalités du milieu.

* * * *

Pouvoirs de l’équipe, pouvoirs du milieu...

Il semble qu’à travers tout le processus de discussion sur la planification/priorisation de l’équipe, celle-ci ait peu à peu fait son deuil d’un pouvoir d’équipe, collectif, qui se prononcerait formellement sur les  nouveaux dossiers à ouvrir, ceux qu’il faut fermer. L’émergence d’un tel pouvoir formel viendrait déséquilibrer les rapports délicats entretenus déjà entre trois niveaux de pouvoir à l’oeuvre dans toute organisation de services: le client, le professionnel et la direction (Harvey, 1988).  C’est encore grâce à des négociations directes, entre un client et un professionnel, ou entre  la coordonnatrice ayant recue une demande d’un client et un professionnel pressenti pour répondre à cette demande que les choses se décident. L’équipe a peut-être abandonné une vision idéaliste de son pouvoir, où l’on pourrait prendre collectivement des décisions qui nécessitent des ajustements subtils, complexes, des évaluations pas toujours objectivables. Abandonnant la recherche d’un pouvoir décisonnel sur les actes professionnels particuliers, l’équipe peut mieux jouer son rôle de conseil, et même de lieu de décision, mais concernant certaines actions stratégiques, certains moments de la conjoncture propices à l’intervention de l’ensemble de ses membres.

Les efforts mis au cours des dernières années à rehausser l’unité idéologique et d’action de l’équipe, à mieux formuler les grands axes de travail et d’interventions, auront-ils d’abord servi à la consolidation de la position institutionnelle d’un groupe socio-professionnel dont le statut était menacé? Les citoyens, les clients ont-ils plus de pouvoir qu’ils en avaient?

Le fait pour l’équipe communautaire d’avoir rehaussé son degré de cohésion interne lui permet de mieux articuler ses ressources, et accroître d’autant son impact dans le milieu.  Ce qui donne, sinon plus de pouvoir, au moins plus ou de meilleurs services à la communauté. Par ailleurs, l’objectif de l’action communautaire étant l’"empowerment", une meilleure atteinte de cet objectif signifie un accroissement du pouvoir de la communauté sur son environnement.

La communauté devrait bénéficier du maintien d’une orientation communautaire forte du CLSC. Sans la démarche de relèvement de la position de l’action communautaire dans l’institution CLSC, démarche réalisée localement mais aussi dans l’ensemble du réseau depuis cinq ans au moins, il est probable que l’offre de services communautaires aurait été diminuée beaucoup plus que de 35 heures comme ce fut le cas à l’automne 90 au CLSC-HM. Cela aurait affecté la capacité du CLSC (des CLSC) à s’associer étroitement aux efforts de concertation du milieu, à ses efforts de développement de ressources et de programmes. Cela aurait refermé un peu plus le CLSC sur lui-même, sur ses champs de compétences de plus en plus exclusifs, de moins en moins ouverts à une interaction avec le milieu.

B. De la dynamique dans le milieu

Nous examinerons maintenant, en trois temps, les dossiers d’intervention dans le milieu qui nous apparaissent caractéristiques de cette période. Notons tout d’abord que la conception du milieu lui-même s’est passablement élargie, par rapport aux relations quasi-exclusives avec les groupes communautaires (et syndicaux) de la première période. Ce milieu est aussi traversé de tendances générales, dont une à la concertation, au partenariat interinstitutionnel (Laville, 1989). C’est cette tendance que nous examinerons dans un premier temps. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à la question du développement économique-communautaire, elle aussi caractéristique de la période. Finalement, on peut dire qu’il y a eu une multiplication des initiatives communautaires durant cette période. Pierre Hamel croit que cette multiplication a remplacé les mobilisations de masses des années ‘70 (Hamel, 1991). C’est ce dont nous donnerons un aperçu dans le troisième volet de cette partie consacrée à la dynamique de l’intervention communautaire du CLSC dans le milieu local.

1. Concertations et partenariats interinstitutionnels

Alors que le début du projet-CLSC avait été marqué au coin d’une étroite concertation des ressources communautaires du quartier, sous la forme d’une “maison de quartier”, la période qui suivit la création formelle du CLSC connut peu de grandes coalitions des forces du quartier, sauf pour des moments ponctuels, tels les fêtes du 1er mai, du 8 mars... À l’automne 1978, une quinzaine de groupes communautaires publièrent un numéro, un seul, d’un “journal de quartier”,  qui ne survécut pas à la concurrence du journal local, dans lequel, de toute façon, les organismes pouvaient publier à peu près ce qu’ils voulaient. Ce qui est remarquable de l’initiative du Quartier populaire (nom du journal communautaire), c’est que l’intervention du CSLC passait sous le couvert du support à certains groupes participant à l’initiative. Autrement dit, le CLSC n’était pas directement, officiellement participant à une telle initiative. C’était l’époque du low-profile, époque où le CLSC était d’abord perçu comme “appareil d’État”, avant d’être identifié comme organisme local.


Coalition syndicale-populaire contre les coupures (1981-82)

C’est dans le contexte de crise et de coupures de salaires et de subventions de l’année 1981 qu’une initiative visant à regrouper les travailleurs des secteurs publics et les militants et permanents des organismes communautaires fut lancée.


Cette initiative du Syndicat des travailleurs du CLSC, mais supportée par au moins un organisateur communautaire dans le cadre de son intervention dans le quartier, conduisit à la tenue de deux assemblées. La première, en décembre 1981, réunit plusieurs centaines de personnes, où des représentants des secteurs de la santé, de l’éducation, de l’éducation populaire, des organisations sociales et des garderies prirent la parole pour illustrer les conséquences concrètes des coupures et arrêts de développement décidés par les différents palliers de gouvernement. Il faut se rappeler l’intensité de la crise, qui se traduisait par des taux d’intérêts atteignant 20% et des taux de chômage dans Hochelaga-Maisonneuve de l’ordre de 40% à 50%. Des kiosques d’information sur les différents secteurs d’activités présents furent organisés lors de cette assemblée.

Cette assemblée fut suivie, le 20 juin 1982, d’une fête populaire, où plusieurs dizaines d’organismes communautaires et quelques syndicats furent représentés. Un projet de déclaration de principes fut rédigé, et visait à asseoir les objectifs de la coalition: s’opposer aux coupures de services; se tenir informés de la situation dans les différents secteurs, informer la population locale...  Cette Coalition, mise sur pied en réaction aux mesures de crise budgétaire du gouvernement québécois, ne survécut pas plus d’un an. Elle donna naissance, cependant, directement et indirectement à deux autres “coalitions” ou concertations qui marquèrent plusieurs années durant la vie communautaire du quartier. Un fait à noter, avant d’aborder la progéniture de la Coalition contre les coupures: le CLSC n’était pas présent directement à la table de la coalition,  mais bien plutôt le syndicat de ses employés. Cependant, signe des temps, une démarche formelle de support fut déposée et débattue au C.A. du CLSC, qui après avoir hésité,  constatant la présence des syndicats (“n’est-ce pas une activité syndicale que vous nous demandez de supporter?”) avait ouvert la porte à un soutien, pour peu qu’on lui présente un plan de travail et des objectifs clairs.

La Coalition n’aura pas le temps de rédiger un tel plan, elle se transformera au cours de l’automne 82 en ce qui allait devenir le Collectif en aménagement urbain Hochelaga-Maisonneuve. À cette date d’ailleurs, les seuls représentants du “monde syndical” qu’il y avait aux assemblées de travail de la coalition étaient des organisateurs communautaires du CLSC, les trois autres membres du comité de coordination étant le Pavillon d’éducation communautaire (PEC), l’Association pour la défense des droits sociaux (ADDS) et le YMCA (Young men christian association) du quartier.


Le Collectif en aménagement urbain Hochelaga-Maisonneuve

Les coupures dans les services publics n’étant plus un objectif d’action mobilisateur qui permettait de réunir les forces populaires du quartier, la coalition se cherchait une cible d’intérêt commun qui permettrait quelqu’emprise concrète. La coalition organise un débat local sur la question de la tarification du transport en commun, un débat lancé dans la région montréalaise par la Communauté Urbaine de  Montréal.

À cette rencontre furent soulevées des questions entourant l’aménagement des espaces laissés en friche depuis le début des années 70, tout le long de la partie sud du quartier. Espaces libérés suite à la démolition de 1200 logements réalisée dans le cadre d’un projet d’autoroute est-ouest. Il était question que ce projet soit réactivé et que la rue Notre-Dame soit tranformée en boulevard urbain à six voies, en plus de deux voies de services. Le Collectif en aménagement urbain fut mis sur pied afin d’exiger que soient construits des logements sociaux sur les espaces encore libres et afin de s’opposer à l’érection d’une autoroute au sud du quartier.

Le YMCA, un représentant des paroisses et le CLSC(Notez le glissement sémantique: ce n'est plus l'organisateur seul qui est impliqué, mais de plus en plus l'institution qu'on identifie comme partie prenante des processus de concertations et de partenariat. Il n'y a plus, ou beaucoup moins, la coupure, l'opposition d'avant entre le “bon intervenant” et la “méchante institution”.) furent les principaux artisans et animateurs du Collectif. En 1983 le Collectif organisait la tenue d’une “commission populaire”, où furent entendus et déposés divers mémoires sur la question, dont un, réalisé par l’équipe Santé préventive du CLSC portant sur l’inefficacité des “talus anti-bruits” prévus aux plans du ministère des transports ainsi que sur  les effets du bruit sur la santé (physique, mentale, sociale). Le coordonnateur du module socio-communautaire participe à titre de commissaire à cette commission populaire. L’équipe communautaire au complet et plusieurs autres employés du CLSC furent mobilisés lors de la tenue de ces audiences, pour assurer accueil, secrétariat, support technique au déroulement de l’événement. Le CLSC devenait, plus que jamais, une ressource acceptée, appréciée par les organismes communautaires. Le CLSC était un partenaire immédiat officiel aux côtés, principalement, de deux autres organismes du milieu, dans le développement et la coordination de cette action communautaire.

Cette intervention concertée se poursuivra, jusqu’à aujourd’hui (1991), avec des hauts et des bas dans la mobilisation et l’impact public, suivant le caractère plus ou moins urgent des cibles d’action qui se présentaient: assemblées publiques pour questionner les élus et candidats aux élections; prises de position concernant certains aspects des plans d’aménagement du boulevard Ville-Marie... Contrairement à d’autres formes de concertations qui ne rassemblent que des représentants d’organismes, celle-ci permettra d’associer plusieurs simples citoyens dans l’action de comités de rues, comité des espaces verts...


Le Salon de la culture populaire (SCP)

Le PEC, qui avait participé à la Coalition contre les coupures en 81-82, et avait été le lieu de la “fête populaire” de juin 1982, où plusieurs dizaines de kiosques furent tenus par des organismes communautaires du quartier, organisait à l’automne 1983 le premier “Salon de la culture populaire”, où des organismes du quartier se donnaient, pendant quelques jours, une visibilité accrue.

L’expérience fut reprise pendant les trois années suivantes, avec une implication active du CLSC, au sein du comité organisateur. En 1984, deux organisateurs du CLSC étaient responsables de la programmation du Salon, et de sa publicité. Plusieurs autres intervenants participèrent à la préparation et l’animation du kiosque du CLSC. Dans une note aux employés, le directeur général de l’époque soulignait la réussite de  l’événement, et l’importance qu’y avait accordé le CLSC. Reprenant le mot d’une préposée à l’accueil du CLSC, «Comme le disait Mariette Thiboutot “Enfin, il était temps que nous reprenions notre place parmi les groupes du quartier”. Et nous le faisons la tête haute».  C’était à l’automne 1984.

Le Salon de la culture populaire (SCP) réunira de 84 à 86, quelques 40 organismes communautaires à un événement annuel visant à souligner l’apport de ces organismes à la vie du quartier,  visant à mieux les faire connaître du grand public. En dehors de l’événement annuel cependant, la large coalition d’organismes qui étaient réunis sous le même  chapiteau se cherchait une vocation: fallait-il transformer l’assemblée générale du Salon en “conseil de quartier”, en table générale de concertation?

Les objectifs visés par l’organisation communautaire du CLSC, dans sa participation au SCP, étaient de “collaborer à un effort de concertation entre  les organismes communautaires du milieu”. (Bilan 1985-86 du responsable de dossier). La dynamique du SCP aura facilité, en sensibilisant les groupes présents, l’émergence d’une nouvelle table de concertation: la Corporation de développement économique communautaire (CDEC).

Par contre, comme le souligne Robert Potvin, alors membre de l’équipe, dans son bilan 85-86,

“il apparait, selon la volonté même des organismes participants, que le SCP devra surseoir, à l’avenir, à initier toutes démarches globales ayant la concertation comme objectif spécifique. Les organismes du quartier se déclarent maintenant  satisfaits des divers lieux de concertation existants, signalent que leurs énergies ne sont pas sans limites et, conséquemment souhaitent que le mandat du SCP s’en tienne à la réalisation d’un événement socio-culturel en tant que tel, sans autre prétention” (Potvin, 1986).


Multiplication des concertations

Il faut comprendre qu’à cette époque (1985), plusieurs concertations sectorielles avaient déjà vu le jour, certaines existant depuis quelques années (coalition contre la pornographie), d’autres de création encore récente. Le CLSC était représenté, au moins, à celles-ci:

Ceci en plus du Collectif du 8 mars,  actif depuis 1977.  Autrement dit, ce ne sont pas les lieux de concertation qui manquaient dans le quartier. Certains pensaient même qu’il y avait place à une “concertation des concertations”.

Cette dernière idée ne fut pas acceptée par les groupes participant au SCP, ceux-ci y voyant une autre structure qui serait dominée par certains organismes ayant plus de moyens à y investir. Les groupes percevaient donc une telle concertation permanente comme une perte de pouvoir, une structure qui viendrait s’interposer entre chacun d’entres eux et les autres niveaux de pouvoir.

Les principaux organismes ayant investi dans le SCP ont désinvesti à compter de ce jour et le SCP cesse ses activités après le Salon de 1986. Les principaux leaders ayant décidé d’investir dans d’autres lieux de concertation: CDEC, Collectif en Aménagement...

En 1987 et 1988  deux autres tables de concertation furent mises sur pied, avec la participation du CLSC. La Coalition sur  l’alimentation dans H-M, réunit plusieurs organismes sensibles à la question de la faim et désireux d’alerter l’opinion autant que de concerter, renforcer leurs actions. Cette Coalition sera à l’origine d’un projet d’États généraux du quartier, qui ne verra finalement pas le jour: l’enthousiasme que l’idée souleva chez beaucoup d’acteurs locaux avait peut-être dépassé les attentes des proposeurs, qui eurent l’impression de perdre le contrôle de l’évènement. L’équipe communautaire du CLSC, qui s’était mobilisée autour du projet qui avait un échéancier très serré, respecta le leadership du milieu et accepta le report indéterminé de l’évènement. Il faut préciser que durant la même période se discutait aussi dans le quartier l’éventualité de réaliser un processus d’évaluation de besoins, dans le cadre proposé par Vivre Montréal en santé. Cela venait aussi ajouter à la confusion des dynamiques qui s’entrecroisaient.

2) Projet-Été, une concertation des ressources de la ville, de Concertation Jeunesse et des centres de loisir, et du CLSC qui offraient tous des activités estivales aux jeunes restés en ville. L’action de ces organisme  vise à accroître l’impact des programmes d’activités estivales, publicisés dans les écoles à la fin de l’année scolaire sous la forme d’un programme commun. Certains évènements sont aussi organisés en commun: sorties familiales à la plage... Le rôle du CLSC en fut un d’animation, au début, et de  gestion-coordination du travail de quelques étudiants embauchés pour l’été grâce aux subventions fédérales.


Une concertation-évènement

Durant la même période (87-88), le CLSC s’impliquait dans une autre activité à titre d’agent de concertation: le colloque École-communauté qui fut organisé pour le  personnel des onze (11) écoles primaires du quartier, et les resssources communautaires, particulièrement celles intervenant en éducation populaire ou auprès des jeunes et des familles. Cette initiative avait été développée à la suite de deux interventions ponctuelles où le CLSC avait eu à répondre à des demandes de support. La première venant d’un groupe de parents qui, à l’automne 1986, décidaient de “faire la grève” et ne plus envoyer leurs enfants à l’école, afin de protester contre la fermeture appréhendée de leur école primaire. La seconde activité ponctuelle fut réalisée avec quelques organismes communautaires qui furent appelés à intervenir dans le cadre d’un colloque du syndicat des professeurs de Montréal (l’Alliance), sur le thème de l’éducation en milieu socio-économiquent faible. C’est au moment où un second groupe de parents, ayant des problèmes avec la direction de leur école, vinrent frapper à la porte du CLSC qu’il est apparu urgent de développer une approche plus globale, qui viserait à améliorer les relations entre la communauté locale et ses écoles.

Si la tenue du colloque École-communauté de janvier 1988, auquel participèrent plus de deux cent quarante professeurs et intervenants du quartier n’a eu que peu de suites formelles immédiates (pas de comité ou concertation permanente) cela aura certainement facilité le développement subséquent de deux projets communautaires qui se réaliseront avec des écoles du quartier. Un projet d’ateliers de devoirs, Je passe-partout, issu de la Table de concertation jeunesse et un projet de support aux enfants de première année aux prises avec des difficultés familiales, Les enfants de l’espoir. Deux projets où le CLSC jouera un rôle essentiel. Ce dernier projet fut proposé au CLSC par la direction d’une école primaire qui l’avait “en tête” depuis longtemps, et qui profita sans doute du colloque de ‘88, qui se tint dans son école, pour passer à l’action avec cette idée. Ces deux projets furent financés durant les premières années grâce à des budgets d’expérimentation du CRSSS, auxquels s’ajoutèrent après des fonds de la commission scolaire, et de fondations privées. Concernant les ateliers de devoirs, le ministère de l’éducation vient d’annoncer (1991) son intention de généraliser ce type d’intervention dans les écoles de quartiers défavorisés.

Un dernier type de concertation se développera au début des années 90, dans le cadre du réseau québécois Villes et villages en santé. Promu par la Ville de Montréal, cette concertation intersectorielle se veut un moyen d’améliorer les relations entre élus, fonctionnaires et communauté locale. Un projet qui fut cependant accueilli plutôt froidement par les représentants d’organismes communautaires, alors que des représentants d’institutions et les élus étaient plutôt favorables. La  résistance manifestée par les organismes communautaires locaux devant l’idée montre qu’ils ne sont pas convaincus qu’une telle  concertation ne se fera pas d’abord au bénéfice des politiciens et fort peu à celui des citoyens. Le débat n’est pas clos, le besoin d’un lieu d’échange général entre les organismes du quartier est ressenti par plusieurs intervenants du milieu, particulièrement depuis la fin du SCP.

* * * * *

La concertation aura donc été au cours de cette dernière période, à la fois une stratégie de développement de nouveaux organismes dans le milieu (PAR HM, Collectif en amémagement urbain, CICE) et aussi une stratégie d’intervention des organismes en place, qui ont pu ainsi accroître leur impact sur l’opinion publique et politique (Salon de la culture populaire, Collectif en aménagement, Coalition sur l’alimentation...). De concertations et coalitions strictement populaires, ou populaires-syndicales, les concertations se sont ouvertes, peu à peu à la participation d’institutions (CLSC, CSS, Ville, écoles) et d’entreprises privées (dans le cadre de la CDEC). Dans la plupart de ces concertations le CLSC aura joué un rôle important, quelques fois de leadership. Plus que d’autres organismes locaux, le CLSC avait les moyens de supporter, d’appuyer le développement de telles tables d’échanges: secrétariat, animation de rencontres, préparation de dossiers. L’action communautaire aura joué dans ces contextes le rôle du “passeur”, de l’agent d’une concertation interinstitutionnelle, comme le décrit Laville. Ceci dans le sens où le CLSC était perçu comme participant aux deux “mondes” par les acteurs en présence: assez connu et proche d’eux pour être accepté par les groupes communautaires et ayant le statut d’institution facilitant l’échange avec les intervenants et représentants d’institutions.

Les enjeux de la prochaine période pourraient être formulés comme suit: Comment une collaboration plus étroite entre organismes communautaires et institutionnels pourra-t-elle éviter d’assujettir la liberté des premiers aux pouvoirs et moyens des seconds? Comment la logique institutionnelle des grandes organisations pourra-t-elle s’harmoniser et communiquer avec celle, peu structurée et fluctuante, des petites organisations?

Là encore, le CLSC risque d’être utile, de par sa “double nature”, participant à la fois des mondes institutionnel et communautaire. De l’avis de l’équipe communautaire du CLSC (entrevue avec huit membres de l'équipe d'organisation communautaire du CLSC, tenue les 15 et 30 mai 1991), il est possible que le CLSC joue encore un rôle de leader, grâce à une nouvelle direction générale (La huitième depuis 1973!) sensible aux enjeux et à la culture du monde communautaire, un rôle de leader dans une démarche  ressentie dans le milieu comme nécessaire, visant à affirmer, renforcer une identité de quartier. Plus que jamais aujourd’hui il apparait important que toutes les ressources disponibles dans la communauté locale, communautaires, institutionnelles, privées soient impliquées, mobilisées, dans le respect mutuel de leurs différences. Afin de promouvoir un développement local concerté.

Une concertation qui, hier encore, était impensable. Aujourd’hui, des expériences comme celle de la CDEC ou encore l’ouverture du milieu scolaire à la réalité communautaire démontrent qu’elle est possible. Nous sommes passés d’une culture de la confrontation à une culture de la négociation disait Donzelot (1991), cela semble s’être produit aussi dans Hochelaga-Maisonneuve.

En terminant sur ce point et malgré les apparences, suite à une telle énumération de tables, de coalitions et de concertations, la concertation ou le partenariat, ce n’est pas une recette. Tout d’abord ces concertations se sont construites sur la base d’une confiance mutuelle que les organismes ont acquise dans un travail au coude à coude, mené depuis des années, autour d’objectifs pas toujours flamboyants. Si la concertation n’est pas une recette, elle est cependant, indubitablement à la mode. Les policiers se mettent à l’heure de la concertation, comme les écoles, la ville... Comment des organismes communautaires avec très peu de moyens pourront-ils supporter tant de sollicitation? Comment feront-ils pour exercer quelqu’influence sur des partenaires institutionnels qui, quelques fois, entrevoient la concertation d’abord comme un exercice de relation publique, ou encore un moyen peu onéreux d’avoir plus de contrôle sur leur environnement? Il n’y a pas de réponse simple à de telles questions, parce que la concertation, ou le partenariat, c’est aussi pour le mouvement communautaire le moyen d’être reconnu, de rehausser sa visibilité et sa crédibilité, sans lesquelles le financement et la survie sont encore plus difficiles. On peut imaginer aussi que ces efforts, fournis par de petites organisations souples et aptes à mobiliser plus facilement les citoyens dans l’action, soient des occasions offertes à l’engagement social de nouveaux membres, de nouvelles franges de la société civile.

La concertation et le partenariat ne sont pas que des voies de communication nouvelles pour des appareils en mal de productivité. Ce sont aussi des manifestations, des lieux d’expression d’une dynamique sociale qui dépasse, englobe et pénètre les institutions. Une dynamique sociale qui exige plus de flexibilité, plus de continuité entre l’économique, le social, le scolaire... entre la santé et l’environnement. Une dynamique sociale elle-même moins fluide et extérieure aux appareils qu’auparavant, plus apte aujourd’hui à contracter avec ceux-ci la réalisation de mandats d’utilité publique. Cette interaction, ces transactions entre  organisations et mouvements sont aussi des occasions de participations nouvelles, d’engagements sporadiques dans la vie démocratique, dans le façonnement des institutions de la cité.


Quand Don Quichotte se met à faire des bottes...

2. Les interventions de développement économique communautaire

Après avoir examiné, assez rapidement eu égard à la complexité de chaque cas, les dossiers à caractère de concertation qui ont marqué la seconde époque de l’action communautaire au CLSC, nous désirons étudier de plus près les interventions à caractère de développement économique qui ont aussi été typiques de cette période. L’analyse de cette dimension de l’action de l’équipe prend d’autant plus d’importance qu’elle se veut une réponse, même partielle, à la critique menée par le comité Brunet, qui jugeait que les interventions communautaires des CLSC devaient se limiter au secteur socio-sanitaire et laisser aux acteurs spécialisés le domaine de l’intervention de développement économique.

Comme nous l’avons vu à travers le processus de définition de la programmation, la question du développement économique fut souvent identifiée comme un objectif stratégique important. L’action à ce niveau se menait quelques fois dans le cadre du développement de nouveaux services à caractère socio-sanitaire (services aux personnes âgées, services de garde...) qui se devaient d’intégrer la nouvelle logique des politiques de développement de l’employabilité chez les prestataires d’assurances sociales. Nouvelle logique, comparée à celles des années ‘70 qui étaient plus axées sur les besoins de la communauté et la simple “remise en circulation” des personnes en chômage. D’autres fois l’intervention se situait dans le cadre d’initiatives, partagées avec des organismes du milieu, visant spécifiquement le développement économique de la communauté locale. Parmi les principales initiatives de ce type, on peut retenir 1) la corporation de développement économique communautaire (CDEC), qui dans le quartier d’appellera le PAR-HM, pour Programme action revitalisation Hochelaga-Maisonneuve, de 1985 à 1990, moment où elle changea son appellation pour: Corporation de développement de l’est - CDEST); 2) la Corporation d’incitation à la création d’emplois, la CICE; 3) et aussi FORMEC, pour Formation à l’emploi coopératif.

Cet engouement pour la “chose économique” n’était pas propre à l’équipe d’organisation communautaire mais plutôt une tendance présente dans tout le mouvement communautaire qui dès 1983-84 se devait de faire preuve d’innovation et d’initiative pour faire face à la pire crise économique depuis les années ‘30.

 Afin de réfléchir à cette dimension de l’intervention communautaire du CLSC nous avons interviewé le membre de l’équipe qui en a été le principal porteur: Jean-Robert Primeau (Entretien avec Jean-Robert Primeau, 8 mai 1991, 38 pages.).  Au cours d’un entretien de trois heures, nous avons passé en revue les conditions expliquant l’émergence des différents dossiers à caractère économique dans l’intervention du CLSC; les partenaires réunis dans ces dossiers et les débats qui ont entouré l’orientation de l’action sur ce terrain, nouveau par rapport à la tradition communautaire, elle-même habituellement associée à des positions revendicatives de type syndical ou à l’organisation des exclus du marché du travail.

À la fois en rupture et en continuité avec le passé

Jean-Robert Primeau avait été au SAC l’intervenant chargé du Front travail. À ce titre il s’était intéressé depuis toujours aux questions liées aux conditions de travail, au droit au travail, à la santé au travail. Il avait aussi participé à une initiative concertée CLSC-YMCA, en 1984-85 en vue de “diminuer le stress et son impact sur la santé des travailleurs” lors de la fermeture d’une usine du quartier: Les biscuits David.

Mise à part cette relative continuité d’intérêt par rapport aux questions du travail, Jean-Robert souligne: “il fallait vraiment un revirement (de mentalité) pour s’embarquer”.

Un revirement obligé par les fermetures d’usines et les mises-à-pied massives qui se produisirent à cette époque: David, Les boulangeries Steinberg, Angus, Steel Weel,... Un revirement aiguillonné par la situation des jeunes de moins de trente ans et par des demandes d’organismes externes: “Il y a le regroupement autonome des jeunes (RAJ) qui crie, à cette époque là, très, très fort. Y’a la Mobilisation contre la misère, coalition régionale qui appelle à l’action, mais aussi des demandes formelles que reçoit le CLSC”. L’une vient du Comité provincial des coopérateurs et coopératrices du travail, et une autre de la Coopérative de développement régionale (CDR). Cette seconde demande est plus précise et sera privilégiée dans un premier temps (Le travail avec le Comité provincial des coopérateur et coopératrices du travailse développera formellement à partir de 1987, au moment où la CICE cesse ses activités, pour aboutir à la création de Formec (formation à  l'emploi coopératif, 1988)).

Il s’agissait de mettre sur pied “un comité de liaison, pour agir entre les projets locaux qui pourraient naître, (agir) comme un tamis, un filtre entre ces projets et la coopérative de développement régionale”. Avec la participation à ce comité, le revirement de mentalité est “presque fait: on ne fait plus juste travailler à la défense de droits traditionnels. On essaie d’avoir un rôle  de développement économique”. C’est un virage qui garde encore de forts liens avec le passé: ce sont des coopératives de travail et pas n’importe quel genre d’entreprises qu’il s’agit de développer.

Une préoccupation partagée

La préoccupation pour le dévelopement économique communautaire est partagée par plusieurs organismes du quartier, qui participent ou sont en lien avec le comité de liaison mis sur pied à la demande du CDR: le Resto pop, le Boulot Vers, le PEC, le YMCA du quartier, un représentant des paroisses...

À l’automne ‘85 les élections provinciales précipitent les décisions et deux comités se forment parmi les acteurs locaux intéressés au développement économique communautaire. Le CLSC participe aux deux initiatives. Le coordonnateur du module socio-communautaire s’implique directement, et sera suivi de près par le directeur général, dans le projet de corporation de développement économique communautaire locale: le PAR-HM, Programme action-revitalisation Hochelaga-Maisonneuve. Jean-Robert Primeau, pour sa part, participe au développement de la CICE, la Corporation d’incitation à la création d’emplois qui agira principalement en développant un Groupe de support aux initiatives jeunesse (GSIJ). La mise sur pied de ces deux nouvelles corporations est liée au développement de deux programmes provinciaux de subvention relevant de l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) et du Ministère de l’industrie et du commerce (MIC). En quelques mois seulement allaient se développer à Montréal deux nouvelles CDEC qui s’appuyaient sur l’expérience du PEP (Programme économique Pointe St-Charles, premi'e8re CDEC mise sur pied 'e0 Montréal), développé depuis plus d’un an. D’autres CDEC se sont depuis développées dans la région montréalaise ou ailleurs au Québec. Les GSIJ, quand à eux, étaient déjà 75 au Québec, en 1986. Leur tâche était essentiellement d’encadrer, d’évaluer la faisabilité des projets de développement d’entreprises portés par des jeunes de moins de trente ans, particulièrement dans le cadre du programme provincial “Jeunes promoteurs”.  Bien que leur développement ait été accéléré par l’obtention de ces subventions, les deux corporations locales (PARHM et CICE) n’étaient pas d’abord des “mandataires de programmes provinciaux”, mais plutôt des lieux de concertation de forces locales, concertation qui, surtout dans le cas du PARHM, expérimentaient pour une rare fois, une collaboration intersectorielle: privée, institutionnelle, communautaire.

Ni le milieu, ni le CLSC n’avaient de point de vue ou de stratégie unifiée concernant l’intervention communautaire sur le terrain économique. Les relations entre la CICE et le PARHM (devenu depuis 1990 la CDEST, Corporation de développement de l'est), si elles étaient quelques fois  tendues, n’ont jamais été conflictuelles. On reproche au PARHM d’avoir trop cherché la reconnaissance par le milieu des affaires et d’avoir ainsi minimisé, relégué au second plan les besoins de la population locale. Une situation qu’a tenté de corriger la CDEST, en développant un secteur communautaire distinct depuis 1990. Suivant Primeau, la rapidité avec laquelle la CDEC s’est développée en 1985, par rapport à l’expérience du PEP, explique en partie la coupure, l’éloignement des forces communautaires.

“On n’a pas eu cette large consultation, implication populaire dès le début, comme à la Pointe, où il n’y avait pas seulement des organismes sur le C.A. du PEP, mais aussi des citoyens, des citoyennes. (...) C’est comme un boulet qu’on traîne comme milieu. Je dis pas qu’il est impossible qu’à un moment on revienne là dessus, mais certaines caractéristiques de notre CDEC découlent un peu de cette non-présence populaire”. (Beauchamp, 1991b; 15)

À la question, suggérée par le rapport Brunet: Y avait-il d’autres acteurs qui auraient été mieux placés que le CLSC pour développer cette intervention?, Primeau répond par la négative. Ce sont des organismes à vocation économique, le ministère de l’industrie et du commerce et la Coopérative de développement régional, qui ont sollicité l’implication du CLSC, parce qu’ils avaient peu de liens avec la communauté. “On n’aurait pas vu le commissaire industriel réunir les ressources locales, pour voir l’état de la situation. Ce champ là, c’était un «no man’s land»”.

C’est le vacuum politique du néo-libéralisme, du laisser-aller du début des années ‘80:

“Après la politique du développement du secteur public, comme locomotive au développement économique, il n’y avait plus de politique, ni industrielle, ni de l’emploi. J’ai longtemps cru que les politiques d’amélioration des conditions de travail des syndiqués allaient avoir des retombées positives pour l’ensemble de la population, des classes ouvrières et populaires. Mais à un moment donné, ce n’était plus vrai. (...) (La société était prête) à «scrapper», mettre des «X» sur des générations au complet, et dire «Celle-là est perdue. Ils ont quitté l’école à treize ans, ils ne fittent plus avec l’industrie, on les met de côté». On ne peut pas scrapper des populations comme ça, au nom de changements civilisationnels ou de virages technologiques. (Le revirement de mentalités, ça voulait dire:) Si l’État, si l’Élite ne veut plus s’occuper de ce monde là, alors il faut que la communauté essaie de voir quel peut être l’avenir de ces gens là, parce qu’ils en ont un avenir. (...) S’il devait se passer quelque chose, c’était les forces locales, les forces communautaires qui allaient le faire” (Beauchamp 1991b; 11)


Les efforts de développement économique communautaire se sont traduits localement par la mise sur pied d’entreprises  en conseils (CDEST, CICE) qui ont offert des services aux entreprises ou aux jeunes entrepreneurs (Guichet Multi-services, Ouvre-Boîte); des projets ou des groupes communautaires se développaient aussi en tant que plateaux de travail pour les jeunes (Boulot Vers, Groupe Resto du Resto Pop, Grands ménages...) ou encore des services de main-d’oeuvre ou de formation (Emploi-Jeunesse, Formec). L’impact de toutes ces initiatives est cependant difficile à mesurer sur la situation d’ensemble de pauvreté et de chômage dans le quartier.

“Avec tout ce qui se passe dans l’est, PAR-HM, PRO-EST, comité aviseur, depuis cinq ans par rapport à la question de l’emploi et de l’employabilité, on peut se rendre compte que ça a pas beaucoup d’impact sur la population locale. Si des entreprises ont été attirées dans l’est (...) elles embauchent du personnel avec des caractéristiques auxquelles ne peut pas correspondre la main-d’oeuvre locale”. (ibid., p. 28)

Des initiatives diverses se poursuivent, collées aux besoins de clientèles particulières pour lesquelles la formule “guichet unique” ou plateau de travail ne colle pas toujours: un incubateur de rue avec le Resto pop; la formation-retour à l’emploi de la Puce communautaire; des Coopératives jeunesse de services, avec FORMEC (pour Formation à l’emploi coopératif), l’ancienne “Table locale des coopérateurs du travail”, le comité mis sur pied à la demande su comité provincial des coopérateurs et coopératrices du travail.

Le rôle du CLSC sur ce terrain aura été principalement d’agent de liaison avec le milieu, les organismes, dans un premier temps. Un rôle qui est repris de plus en plus par la CDEST. Il aura été aussi un support au démarrage de certains services et corporations; mais aussi un chien de garde par rapport aux besoins d’ici, aux clientèles moins faciles à intégrer sur le marché du travail. Agent de formation aussi, quand il s’est agit de faire une session de démonstration, dasn le cadre de FORMEC, afin de démontrer au bailleur de fonds la faisabilité du programme de formation des coopérateurs qu’ils avaient élaboré.


Des préoccupations plus immédiates

Le développement de l’emploi, de l’employabilité ne donnait cependant pas à manger à ceux qui avaient faim, et qui devenaient de plus en plus nombreux. La clientèle du Resto-pop, restaurant communautaire administré par des personnes assistées sociales en stage, ou ex-stagiaires, croît à chaque jour. Plusieurs organismes témoignent de l’extrême pauvreté qui frappe des familles de plus en plus nombreuses. Le CARRE (Comptoir alimentaire, de rencontre, de ressources et d’entraide) se met sur pied en 1987, à partir de l’Opération Paniers de Noël menée depuis quelques années avec des organismes du milieu. L’objectif est  d’amener les bénéficiaires à faire une démarche et d’offrir un support  de façon plus continue, et non plus seulement à Noël. Le CARRE, le Resto-pop, le CAFAHO (Carrefour familial Hochelaga, centre d’éducation populaire et d’intervention communautaire) et plusieurs autres organismes créent en 1987 la Coalition sur l’alimentation dans Hochelaga-Maisonneuve, pour alerter l’opinion sur la pauvreté croissante, et renforcer les actions qui visent à fournir une aide alimentaire à une population dans la faim. C’est dans cette dynamique que se situe l’émergence des Cuisines collectives, qui ont commencé dans la cuisine du d’une citoyenne du quartier pour se multiplier par dizaines au Québec (Paradis, 1991).

Le CLSC et les intervenants communautaires du CLSC ont été particulièrement impliqués dans la mise sur pied du CARRE, mais aussi dans le support accordé à la Coalition, au Resto-pop et aux Cuisines collective: support en termes d’organisation communautaire et d’expertise en nutrition, un membre de l’équipe communautaire étant nutritionniste.

C’est une prise de conscience qui a fait son chemin, le ministère de l’éducation développe en 1991 une initiative visant à fournir des repas à des milliers d’enfants dans les écoles. Les groupes communautaires sont appelés à s’associer à l’initiative. Le Resto-pop jouera un rôle sous-régional dans ce projet.

* * * *

Participer à la dynamique locale

Au niveau du développement économique communautaire, l’intervention du CLSC aura été plus cruciale, stratégique au moment de la création de nouvelles ressources locales, en 84-85-86, par un rôle d’agent de concertation et de promoteur d’une initiative à ce niveau. De façon continue cependant, le CLSC poursuit une action de support à des “processus d’auto-organisation de populations marginalisées”, dans des cadres comme le CARRE, les Cuisines collectives, ou le Resto-pop... Le support de l’EOC dans ce dernier cas fut accessoire, la dynamique autonome ayant été bien avancée avant l’intervention de support du CLSC. A la fin de la période, le rôle du CLSC est devenu plus effacé, par rapport à la période 1984-87, ceci étant lié à l’émergence d’interlocuteurs communautaires autonomes sur la scène du développement économique local.

On peut penser que les orientations du rapport Brunet ont pu influencer cette diminution relative des investissements en développement économique communautaire du CLSC. La présence d’acteurs communautaires autonomes sur ce terrain, de même que l’évolution de la conjoncture, où les jeunes ont obtenu depuis 1989 la “parité d’aide sociale” avec les personnes de plus de trente ans, sont sans doute des facteurs plus lourds  explicatifs de la transformation de la stratégie d’intervention communautaire du CLSC.

Le CLSC n’a pas cessé de jouer son rôle de partenaire d’une dynamique locale, elle-même influencée par la conjoncture régionale, nationale. D’autres avenues d’intervention collective dans la communauté locale se présentent aujourd’hui qui sollicitent l’implication du CLSC, moins à titre de “spécialiste socio-sanitaire”, mais plutôt en tant que membre d’une communauté qui s’appréhende globalement. Cette concertation se joue sur des terrains communs, ou à la frontière de réseaux ou d’organismes multiples: à la frontière de l’école et du social; à la frontière de l’économique et du social; à la frontière du municipal et du social local... Des enjeux comme le décrochage scolaire de 50% des jeunes du secondaire, ça ne concerne pas que l’éducation... Lorsque les problématiques sont multiples, les risques se multipliant les uns les autres, la violence s’associant à la toxicomanie, au décrochage, à la négligence, au chômage chronique... il ne peut être question de prendre les problèmes un par un, en suivant des filières bureaucratiques déterminées.

L’intervention du CLSC sur le terrain du développement économique local fut d’abord le résultat d’une détermination à être partie prenante d’une démarche, d’une dynamique de la communauté locale cherchant à s’affirmer, à se lever, à freiner sa propre marginalisation. La communauté locale ne vit pas en secteurs subdivisés suivant les différents ministères ou bureaux d’administration gouvernementale. La communauté locale entoure et englobe les institutions locales sans pourtant avoir sur elles tout le pouvoir qui lui revient. La communauté locale procède d’un “espace démocratique poly-centré” qui se construit et respire en autant que les acteurs locaux significatifs acceptent de s’ouvrir à l’interaction des autres.


3. Autres interventions communautaires du CLSC

La période 82-90 aura connu d’autres développements, moins visibles peut-être que ceux relatés jusqu’ici, mais essentiels pour répondre aux besoins des gens d’un quartier comme Hochelaga-Maisonneuve. Ces développements, dont nous avons quelques fois touché un mot, sont caractérisés par les services qu’ils ont offerts à la population. Des services communautaires qui furent, pour plusieurs, développés en périphérie du secteur public: une maison d’hébergement pour femmes (La Dauphinelle); une maison d’hébergement pour jeunes (L’Escalier); des services d’entretien ménagers aux personnes âgées (les Grands ménages Manie-tout); un réseau bénévole auprès des personnes âgées (Résolidaire); des ateliers de devoirs pour les  enfants du primaire (Je Passe Partout); un projet de suivi et d’encadrement pour enfants entrant au primaire avec difficultés (Les enfants de l’espoir); un projet de surveillance à domicile de personnes en perte d’autonomie (Vigilance des facteurs); une halte-garderie (La Halte-répit); un groupe de défense des locataires (Entraide logement); un service de consultation budgétaire, de dépannage et de distribution de paniers de Noël (Comptoir alimentaire de rencontres, de références et d’entraide, CARRE); une coopérative d’auxiliaire familiale (Auxi-Plus)...


Le support accordé au développement de ces nouveaux organismes, de même qu’à d’autres organismes du milieu, a pris, le plus souvent, la forme d’un support organisationnel et technique (financement, gestion, définition des objectifs et stratégies de démarrage). Quelques fois aussi il prenait forme de réalisation de groupwork réalisé par des intervenants du CLSC au sein de ces organismes. Cette pratique avait été développée particulièrement par l’équipe de santé préventive, qui allait donner des sessions sur le stress, la nutrition, les relations parente-adolescents, dans les organismes communautaires. Une pratique qui se poursuivra, bien que dans une moindre mesure, après le rattachement des intervenants de santé préventive à l’équipe communautaire.

On peut qualifier de péri-publics ces organismes dans le sens où plusieurs de ces services sont complémentaires aux interventions publiques (sociales-sanitaires ou scolaires) et doivent, dans certains cas, s’articuler étroitement à certain réseau public soit pour recevoir une clientèle référée par celui-ci, soit pour assurer un ajustement mutuel des services à une  même clientèle.

Ces formes de concertations ou de partenariats entre ressources publiques et communautaires ne se font pas “sur la place publique”, comme les coalitions et concertations décrites plus haut. Aussi n’ont-elles pas eu un impact aussi retentissant sur l’opinion et le débat collectif. Elles ont participé, cependant, peut-être encore plus que les concertations-espaces-publics, à l’ouverture et la sensibilisation des ressources institutionnelles à ce qui se passe à l’extérieur. C’est une ouverture qui pourrait caractériser la décennie qui commence, si ces resources communautaires peuvent éviter d’être, au contraire, totalement intégrées, digérées par la logique institutionnelle. Ce à quoi, peut-être, les concertations-espaces-publics pouraient les aider. Une autre condition permettant de résister à cette inféodation du communautaire, c’est l’indépendance formelle, organisationnelle de ces ressources: sont-ce des entités légales distinctes, aptes à négocier un contrat de façon indépendante avec leurs partenaires ou si ce sont, ce que le mouvement communautaire appelle des ressources  intermédiaires, comme il s’en est créées plusieurs en santé mentale, à la faveur des politiques de désistitutionnalisation? Pour l’ensemble des ressources citées plus haut cette indépendance est généralement acquise.


Processus d’auto-organisation

Une autre dynamique, distincte de celle décrite comme un partenariat institutionnel-communautaire, était à l’oeuvre pour expliquer l’émergence de certains groupes avec lesquels le CLSC a été amené à travailler. Le terme de Laville (1989) décrit le mieux cette dynamique: l’auto-organisation de populations marginalisées. Ces “lieux de socialisation et d’apprentissages relationnels primordiaux pour des populations marginalisées”  permettent à des groupes de pairs de reconquérir une certaine dignité, dans une dynamique semblable à celle du clan, où une protection mutuelle est assurée aux membres, grâce à une “personnalisation forte (du groupe) et des rapports sociaux permettant de résister à la pression de l’extérieur” (Laville, 1989; 331). On peut identifier dans ce type de processus des initiatives, particulièrement à leurs débuts, telles le Resto Pop, un restaurant communautaire auto-administré par de jeunes assistés sociaux. Certains comités de locataires de HLM (habitations à loyer modique), regroupant essentiellement soit des personnes assistées sociales, soit des personnes âgées participent aussi de ce type de processus. Le dévelopement de certains groupes de personnes âgées, et aussi l’évolution de certains services mis sur pied par le CLSC (le CARRE, notamment) peuvent aussi être analysés comme des processus d’auto-organisation de populations marginalisées.


Autres pôles de développement

L’action du CLSC ne s’est pas passée sur un terrain vague, ni vierge. D’autres groupes ont vu le jour durant cette période sans que le CLSC ne soit impliqué aucunement. Comme le notait avec justesse Louis Favreau (1989), en plus du CSLC il y avait dans le quartier au moins deux autres pôles de développement comunautaire: le Pavillon d’éducation communautaire et le Centre culturel et sportif de l’est. Le premier de ces groupes a agi en tant qu’incubateur, offrant au minimum des locaux et certains services à plusieurs groupes naissant. La radio communautaire CIBL et l’organisme d’éducation populaire en informatique La puce communautaire sont sans doute les plus connus de ces “rejetons”. Le Resto pop y aura même passé ses premières années. Pour le Centre culturel, on peut citer la mise sur pied du Boulot vers, un plateau de travail pour jeunes ainsi que le Carrefour jeunesse, un centre d’activités pour jeunes.

Nous avons fait cette longue énumération de développements  d’organismes pour dire deux choses. Premièrement le CLSC n’a pas été à l’origine de “tout ce qui a bougé” durant cette période. De plus, plusieurs des organismes au développement duquel le CLSC a été étroitement associé ont été l’initiative d’individus ou d’organismes du milieu. La Dauphinelle, les Enfants de l’espoir, les Grands ménages sont de ceux là.

Deuxièmement, même si les concertations et le développement économique communautaire ont été les traits marquants de cette période, parce que nouveaux par rapport aux années ‘70, le développement de nouvelles ressources de services communautaires et le support à des processus d’auto-organisation se sont aussi  poursuivis.


Conclusion de la deuxième période: La soupe est prète...

Cette deuxième période aura été traversée par un long et laborieux repositionnement de l’action communautaire dans l’institution et par la recherche d’une nouvelle cohérence, d’une nouvelle philosophie d’action apte à rendre compte d’une conjoncture moins axée sur la confrontation de classes. Période aussi marquée par l’émergence de nouvelles formes de partenariats dans la communauté, partenariats autour d’objectifs d’intervention socio-sanitaires mais aussi d’objectifs nouveaux de développement économique local.

Dynamique institutionnelle

La période s’ouvrait sur une réorganisation administrative qui amenait la dissolution du service d’action communautaire. Une dissolution qui, cependant, ne conduisit pas à la diminution de ce type d’intervention mais plutôt à son renforcement. Par le biais d’une démarche de réflexion, amorcée à l’atelier d’intervention comunautaire, en 1982, poursuivie au sein de l’équipe d’organisation communautaire à compter de 1986, l’action communautaire a pu redéfinir sa place et développer un cadre de référence adapté à la dynamique sociale des années 90.

Cet effort significatif, cet investissement dans la dynamique institutionnelle, amorcé dès 1982, permettra de résister, au moins partiellement, à la tendance réductrice qui suivit le dépôt du rapport Brunet dans le réseau des CLSC. Une tendance à se concentrer sur des objectifs aux effets mesurables, auprès de clientèles “à risque”. Un tel contexte aurait pu conduire à la dissolution de l’équipe communautaire, après celle de santé préventive, et au rattachement de ses membres à des programmes aux clientèles étroitement ciblées. C’est parce que l’équipe avait bien amorcé son travail de programmation et de réflexion sur son action qu’elle sera maintenue. C’est aussi, sans doute, grâce à l’appui qu’elle est allée chercher dans la population des organismes communautaires, en 1987, que son  effort de formation et de programmation a pu être conduit à terme.

L’équipe aura connu, durant la période 1982-1990, trois directeurs généraux, trois directeurs généraux intérimaires, un tuteur et trois coordonnateurs. Il faut croire que la vie de cadre en CLSC n’est pas facile! Cette multiplication des changements au niveau de la direction aura peut-être facilité la poursuite de la dynamique autonome des intervenants communautaires.

Dynamique professionnelle

Cette dynamique fut d’abord collective et fondée sur le leadership informel de quelques intervenants plutôt que sur une structure ou direction d’équipe formalisée. L’atelier d’intervention communautaire était une structure ouverte, animée par des intervenants qui changeront au cours des quatre années que durera l’expérience. L’équipe d’organisation communautaire sera, pour sa part, animée grâce à des comités ad hoc, de tâches ou de réflexion.

Cette situation reflétait le désir intense, partagé par plusieurs, de redéfinir un cadre de référence pour l’action communautaire du CLSC. Elle reflétait aussi la crainte, la résistance de plusieurs par rapport à la formalisation d’un leadership qui risquait d’entraîner la hiérarchisation des relations au sein de l’équipe et la diminution de la dynamique collective.

Un élément important de la dynamique professionnelle de cette période, peut-être insuffisamment mis en lumière jusqu’ici, fut l’implication de certains membres de l’équipe, dont un particulièrement, dans l’émergence et la construction d’une dynamique professionnelle de l’organisation communautaire en CLSC au Québec. C’est parce que la réflexion avait déjà été amorcée localement qu’elle a pu contribuer à une dynamique provinciale. Sans doute une situation facilitante aura été le fait que l’équipe pouvait compter sur un nombre suffisant d’intervenants pour consacrer une partie de ses énergies à la démarche d’orientation.

Les pratiques professionnelles de la seconde période aurons été moins orientées vers le groupwork et le casework que dans la première. Lorsqu’il y eut des groupes ou activités de croissance, c’est au sein des organisations du milieu qu’ils auront lieu, typiquement, durant la seconde période alors que durant la première c’était au CLSC que les groupes de préparation à la retraite, santé préventive, santé au travail se développaient. Pour le travail au cas à cas, c’était surtout le fait de l’implication en SMT, aussi lorsque cette implication fut retirée de ce programme, ce mode d’intervention fut-il grandement diminué. Cela au  profit d’une intervention de développement et de support à des groupes autonomes dans la communauté.

Une dynamique professionnelle locale qui n’aurait pas été possible sans une dynamique communautaire locale exceptionnelle.


Dynamique du milieu: la multiplication des pains!

C’est avant tout grâce à la capacité du milieu à transformer ses problèmes en projets, comme le disait si bien la députée locale, que le CLSC a pu, durant les années 83-90, avoir la pratique communautaire qu’il a eue.

Si le CLSC a pu contribuer à la croissance de cette capacité du milieu, il n’aura pas été le seul.  Nous avons vu agir au cours de cette période des organismes communautaires qui avaient une stratégie d’intervention dont les objectifs dépassaient leur propre développement: ils avaient une stratégie de développement de la communauté. Le Pavillon d’éducation communautaire, le Centre culturel, le YMCA, certaines paroisses et communautés religieuses ont contribué très activement, avec le CLSC ou sans lui, à supporter l’émergence de nouvelles ressources, de nouveaux organismes dans le quartier. Ces efforts, quelquefois individuels mais souvent concertés, ont amené la création de nouveaux organismes eux-même porteurs de stratégies de développement communautaire. La Corporation de développement de l’est (CDEST) vient sans doute au premier rang des “rejetons” de cette période déployant une intervention de support et de développement dans le milieu. Il y a aussi le Resto Pop qui connut une croissance phénoménale, à la mesure de la croissance de la misère pourrait-on dire, employant aujourd’hui plus de soixante-qinze personnes (stagiaires et employés). Un organisme qui est aussi à l’origine de beaucoup d’initiatives, sous forme de nouvelles entreprises (la Pop-Mobile, chargée des repas pour les écoliers), ou encore de comités d’intervention (sur la musique - un festival, la pauvreté...). Certains organismes avec moins de ressources ont contribué de façon significative à plusieurs initiatives collectives, malgré leurs ressources limitées: la Marie Debout, le Boulot Vers, la Maison de la culture Maisonneuve, le Carrefour familial Hochelaga, pour ne nommer que ceux-là. Dans ce dernier cas, le développement des Cuisines collectives aura eu des répercussions dépassant certainement les attentes des initiatrices: il existe aujourd’hui, à peine trois ans après la première, plus de quarante Cuisines collectives à travers le Québec. Un regroupement québécois de ces Cuisines s’est développé et installé dans le quartier.

Cette créativité et ce dynamisme n’ont pas été l’apanage  exclusif du milieu communautaire, bien que nous soyons portés à croire que c’est de lui qu’origine la “contagion”.  Les directions d’écoles primaires ont multiplié les projets et essais en vue de s’adapter au milieu, d’imaginer des façons de contrecarrer l’échec et l’abandon scolaire avant la fin du secondaire, abandon qui a atteint dans le quartier des sommets peu enviables dépasssant 50%, et cela depuis plusieurs années.

Les entreprises et commerces ont appris, sollicités  qu’ils étaient par la CDEST  et d’autres, à s’impliquer dans certains projets, à faire front commun autour d’objectifs de développement local. Les organismes communautaires ont aussi appris à transiger avec eux pour obtenir appuis et conseils.

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Nous n’avons pas osé tenter de replacer cette multitude de dossiers et d’organismes sur une grille du type de Rothman, comme nous l’avions fait pour la première période. La complexité du tableau qui résulterait exigerait, en elle-même, l’équivalent d’un “examen de synthèse”! D’autant qu’il faudrait passablement transformer la grille de Rothman, laquelle convient de moins en moins avec son opposition théorique entre développement local et action sociale (cette dernière axée sur le conflit alors que la première l’est sur le consensus), dans un contexte où l’action sociale prend forme de concertation pour le développement économique.

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Les trois ingrédients

  •  La dynamique d’un milieu qui se prend en main, un milieu pauvre mais riche de ce qui est devenu une tradition, une caractéristique: l’initiative et l’organisation communautaire;

  •  une équipe d’intervenants dévoués, créateurs, refusant le statut privilégié de “fonctionnaires”, encore conscients de leurs origines et capables de solidarité, de sortir des sentiers battus;

  •  une direction institutionnelle courageuse, suffisamment pour refuser le moule, le modèle standard des programmes “mur-à-mur” parce que la communauté locale, elle, n’a rien de standard!,

  • ce sont là les trois ingrédients qui furent nécessaires à l’élaboration et au maintien de pratiques d’organisation communautaire en CLSC qui soient, disons, minimales dans un quartier comme celui-ci.

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